Contribution des ressources de la médecine et de la pharmacopée traditionnelles africaines dans la lutte contre le Covid-19

par Pr Rokia SANOGO *
Bamako, 28 mars 2020

Le savoir et savoir-faire africains en santé, notamment les ressources de la Médecine Traditionnelle (Praticiens – Pratiques – Produits), constituent une composante importante du patrimoine culturel africain :

– Les Praticiens sont des détenteurs/trices du savoir, des trésors vivants reconnus par la communauté pour les soins de santé primaires
– Les Pratiques positives en médecine traditionnelle sont généralement plus adaptées aux réalités locales africaines
– Les Produits : la Pharmacopée Africaine constitue une source inestimable et inépuisable de médicaments pour lutter contre les maladies et pour les révolutions thérapeutiques au profit de l’humanité.

Contexte et justification

Un des premiers programmes du CAMES a concerné la valorisation des ressources de la Pharmacopée et la Médecine Traditionnelles, bien avant la déclaration de Alma Ata de l’OMS en 1978.

Depuis, de nombreuses organisations africaines et internationales ont entrepris des initiatives et des programmes de valorisation du patrimoine culturel africain en matière de santé. Depuis 2000, la Stratégie de la Région Africaine de l’OMS/AFRO encourage l’intégration dans les systèmes de santé, des pratiques médicales et des remèdes traditionnels qui ont donné la preuve de leur innocuité, de leur efficacité et de leur qualité.

En Afrique de l’Ouest, à partir de 2007, le programme de Médecine Traditionnelle (MT) de l’Organisation Ouest Africaine de Santé (OOAS), à travers différentes activités, a permis le renforcement des capacités des tradipraticiens de santé et des praticiens de la médecine conventionnelle en faveur de la mise en place de partenariats entre les deux systèmes de médecine.

Les différents colloques du CAMES sur les Pharmacopée et Médecine Traditionnelles Africaines, les projets fédérateurs et les récentes « Journées Scientifiques du CAMES » ont été riches en communications scientifiques des travaux de recherche sur la Pharmacopée africaine.

La nouvelle décennie de la Médecine Traditionnelle de l’Union Africaine/OMS Afrique (2011-2020) et les recommandations de l’Assemblée Mondiale de la Santé en 2019 sont en faveur de la prise en compte effective des ressources de la MT dans le système de santé, dans la perspective d’une couverture sanitaire universelle, selon la Stratégie de l’OMS pour la MT pour 2014-2023.

À travers l’histoire, les plantes issues des pharmacopées traditionnelles ont été source de grandes molécules qui ont contribué à la lutte contre les maladies, notamment le paludisme.

Dans le contexte de la mobilisation générale et mondiale contre le Covid-19, il faut une réelle prise en compte des Ressources de la Médecine Traditionnelle dans la lutte contre la pandémie. Il est important aussi de tester des produits qui peuvent contribuer à sauver des vies.

Objectif

Renforcer la riposte contre la pandémie de Covid-19 par la prise en compte des ressources de la MT (Praticiens — Pratiques — Produits).

Opportunités

Les ressources de la MT constituent le premier recours de la majorité des Africains pour les soins de santé primaires. Les praticiens de la MT sont des leaders communautaires qui peuvent donner plus d’efficacité aux actions de prévention et de riposte. Pour cela, il s’agit de mettre en place une collaboration effective et une communication efficace et adaptée entre le système traditionnel et le système conventionnel de santé, afin de contribuer à briser des barrières socioculturelles, liées aux habitudes, aptitudes et croyances des populations.

Les traitements traditionnels, utilisant surtout les vertus thérapeutiques des plantes médicinales, peuvent également contribuer à la prise en charge de la pandémie.

Stratégies de prise en compte des ressources de la médecine traditionnelle dans la lutte contre le Covid-19

1. Pour la prise en compte des praticiens de la MT et de leurs pratiques traditionnelles dans les activités de prévention, il est important de les impliquer dans la surveillance épidémiologique au niveau communautaire, par la mise en place d’un cadre de collaboration efficace entre les deux systèmes de soins.

Pour cela, il faut un renforcement de capacités des praticiens de MT et ceux de la médecine conventionnelle. Il s’agit concrètement de :

– l’organisation des échanges pour recenser les expériences et propositions des praticiens de la MT pour la prévention ;
– l’identification de bonnes pratiques en faveur de la prévention ;
– l’élaboration de messages de la sensibilisation et de communication en langues 
locales sur les mesures de prévention contre le Covid-19 ;
– la mise en place d’une communication saine au niveau des villages – l’exploitation du système traditionnel de communication, une communication officielle dans les radios de proximité – afin de combattre les fausses informations et de faux espoirs ;
– la mobilisation du système traditionnel en faveur d’une synergie d’action avec le système conventionnel — informations claires et précises ; tâches, responsabilités et moyens, notamment de protection du praticien de MT comme tout agent de santé ;
– l’implication des PMT dans la surveillance épidémiologique du Covid 19, notamment à travers leurs Fédérations Nationales et les démembrements locaux.

Pour la mise en œuvre de ces activités, il est important d’intégrer dans les équipes et instances nationales de lutte contre le Covid-19 les représentants des associations de praticiens de MT, ainsi que des programmes et des institutions de recherche en MT.

Il est important de s’inspirer de l’expérience de la lutte contre la Maladie à Virus Ébola (MVE), avec l’implication de la Fédération Malienne des Associations de 
Tradithérapeutes et Herboristes (FEMATH), dans le cadre de l’Alliance de la Société Civile du Mali, en 2014.

2. Pour la contribution des traitements traditionnels à la prise en charge des personnes atteintes de la maladie à Covid-19, il faut :

– une analyse de l’expérience chinoise par rapport à l’utilisation de plantes médicinales, par exemple la tisane d’Artemisia annua L. (Asteraceae) ;
– l’exploitation des expériences d’utilisation de produits naturels dans la prise en charge du VIH SIDA et des hépatites virales ;
– l’identification de produits à base de plantes africaines à activité antivirale présentant des données de sécurité, efficacité et de qualité, avec des expériences consolidées d’utilisation dans la prise en charge de maladies virales ;
– la mise en place d’essais cliniques multicentriques, sur la base de protocoles validés, dans la cadre de la riposte nationale et africaine au Covid-19 ;
– la sélection de plantes pour la mise au point et la production des médicaments pouvant intervenir dans la prise en charge des symptômes (fièvre, toux sèche, difficultés respiratoires) associées à la présence du Covid-19 et dans le renforcement du système immunitaire.

Pour la mise en œuvre de ces activités, il est important de renforcer les réseaux existants au niveau national, sous-régional, africain et international pour la recherche sur les plantes utilisées en MT, pour la mise au point de nouveaux phytomédicaments à utiliser dans la prise en charge et pour l’isolement de nouvelles molécules prometteuses.

Conclusion et recommandations

Le Programme Thématique de Recherche PMTA du CAMES, en partenariat avec le Programme Médecine Traditionnelle de l’OOAS en Afrique de l’Ouest, est à mesure d’assumer le leadership de ces actions, par la mobilisation des différents intervenants et la mise en place d’une plateforme de mutualisation des ressources, de capitalisation, de valorisation des nombreux résultats de recherche et de renforcement de capacités de formation et de recherche sur les plantes médicinales de la flore africaine.

Il s’agira aussi pour le PTR PMTA du CAMES de faire le plaidoyer pour la mobilisation des ressources auprès des États, des Organisations Communautaires (OOAS, CEDEAO, UEMOA, UA, CAMES, OAPI, BAD), du Système des Nations-Unies et des Partenaires Techniques et Financiers, y compris les opérateurs économiques, la Diaspora Africaine, les Banques et les Fondations.

Face à l’urgence liée à l’évolution rapide de la pandémie de Covid-19, nous formulons en priorité des recommandations suivantes

Aux autorités des pays africains :

– Adaptation de la communication sur le Covid 19 aux réalités socio-culturelles et aux sensibilités locales, en impliquant les Praticiens de la Médecine Traditionnelle (PMT), pour éviter les stigmatisations et la peur
– Implication effective dans les instances de lutte contre le Covid 19 des représentants des associations PMT et des responsables des programmes et des institutions de recherche en Pharmacopée et Médecine Traditionnelle Africaines
– Réalisation des essais cliniques multicentriques selon de protocoles déjà validés sur des produits issus de la Pharmacopée Traditionnelle Africaine
– Allocation urgente de fonds aux activités de prise en compte de la Pharmacopée et Médecine Traditionnelles Africaines.

Au CAMES 
 :

– Accompagnement du CAMES seul et en synergie avec des partenaires pour une prise en compte du patrimoine culturel africain, en matière de santé dans la lutte contre le Covid-19.

 

Visualiser la note d’intention du CAMES


* Professeure titulaire de Pharmacognosie, Faculté de Pharmacie de Bamako, Coordinatrice du PTR Pharmacopée et Médecine Traditionnelle Africaines du CAMES, Cheffe de Département Médecine Traditionnelle du Mali, Experte de l’Organisation Ouest Africaine de Santé (OOAS) pour la Médecine Traditionnelle, Lauréate du Prix Scientifique Kwame Nkrumah, l’Union Africaine pour les Femmes Membre titulaire de l’Académie des Sciences du Mali