Coronavirus : « Aucune étude démontre que l’artemisia permet de le prévenir ou de le guérir »

Le Monde, 18 juin 2020

 

Depuis que le président malgache Andry Rajoelina a annoncé en avril la découverte d’un remède à base d’Artemisia annua contre le nouveau coronavirus, la plante originaire de Chine est au centre d’importantes spéculations. En l’absence d’essais cliniques validant l’efficacité de la tisane, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a mis en garde contre sa consommation. Les propriétés de la plante à soigner le paludisme sont en effet connues. Mais que sait-on dans le cas de la Covid-19 ?

Pour éclairer ce débat Le Monde Afrique a organisé un tchat le 18 juin. Pascal Millet, paludologue, maître de conférences et praticien hospitalier au CHU de Bordeaux et Laurence Caramel, journaliste au Monde Afrique ont répondu aux questions des internautes :

Kriss Mada : Je réside à Madagascar il faut bien reconnaître que le nombre de cas et de décès reste extrêmement faible [1378 cas et 12 décès] par rapport à bien d’autres pays plus évolués et bien mieux dotés…. L’artemisia et la longue tradition d’utilisation de nivaquine peuvent-ils expliquer ce paradoxe ?

Pascal Millet : Trop de facteurs environnementaux, sociétaux, immunitaires, viraux entrent en jeu dans le contexte épidémique du Covid-19 pour pouvoir démontrer, à l’heure actuelle, le rôle de telle ou telle molécule pour expliquer le faible nombre de cas à Madagascar ou en Afrique en général. Seule une étude épidémiologique rétrospective pourra le faire dans les années qui viennent.

Ahmed (Côte d’Ivoire) : Est-ce que des études prouvent l’efficacité du Covid-Organics [ la tisane malgache] ?

Laurence Caramel : Non il n’existe, à ce jour, aucune étude démontrant que le « Covid-organics » permet de prévenir ou de guérir le coronavirus. La composition de ce remède traditionnel développé par l’Institut malgache de recherches appliquées n’a pas été rendue publique. On sait seulement qu’elle est composée à 68 % d’Artemisia annua. Le président malgache Andry Rajoelina a cependant déclaré que 354 malades du coronavirus soignés uniquement avec de la tisane de Covid-organics avaient guéri.

Brigitte : Peut-on se soigner du paludisme en buvant de l’artemisia en tisane ?

Pascal Millet : Une tisane d’Artemisia annua aura pour effets de réduire le nombre de parasites dans le sang et donc d’éliminer la fièvre. Par contre, au même titre qu’un antibiotique pour les bactéries, il faut atteindre une certaine dose qui éliminera 100 % des agents infectieux pour éviter un nouveau départ de la maladie. S’il reste quelques parasites dans le sang après la prise de tisane, une nouvelle crise de paludisme surviendra. On ne peut pas connaître la dose de principe actif présent dans une tisane, donc on ne peut pas savoir si ce qu’on a pris sera suffisant pour tuer 100% des parasites.

Mr Crédule : Bonjour, vous dites que l’artemisia ne peut pas être utilisée en préventif. Comment alors comprendre l’agitation de la  » Maison de l’Artémisia  » (notamment ouverture de maisons dans toute l’Afrique) ? Ces gens ne semblent pourtant pas dénués de raison ?

Pascal Millet : L’Artemisia ne peut pas être utilisée en préventif chez des voyageurs qui n’ont jamais été en contact avec le paludisme, et n’ont donc pas développé d’immunité contre le parasite. Par contre, dans les régions d’Afrique qui n’ont pas accès aux médicaments antipaludiques pour cause d’éloignement de la capitale, ou pour cause de déstabilisation politique des pays, l’utilisation de la tisane d’Artemisia est une solution pour éviter les accès sévères de paludisme en réduisant le nombre de parasites dans le sang. Les populations de ces pays sont soumis parfois à des centaines de piqûres infectantes de moustiques vecteurs, et portent donc en permanence le parasite. Dans ce contexte, la tisane peut réduire le nombre de parasites dans le sang et éviter le développement de la maladie.

Romaric (Bénin) : Artemisia annua pousse-t-elle uniquement à Madagascar ?

Laurence Caramel : L’Artemisia annua est une plante originaire de Chine où elle est abondamment cultivée. Elle a été importée à Madagascar où la société Bionexx fait travailler un réseau de 15 000 petits producteurs afin de récolter environ 2 500 tonnes de feuilles d’Artemisia annua par an. Elle en extrait ensuite l’artémisinine qu’elle revend aux laboratoires pharmaceutiques qui fabriquent des médicaments à base de cette molécule utilisés dans le traitement du paludisme.

Mais plus de trois cents espèces d’armoise ont été décrites par les botanistes. Elles poussent aussi bien sous les latitudes tempérées qu’en zones tropicales. En Afrique pousse l’Artemisia afra qui ne contient pas d’artémisinine mais qui est aussi utilisée en infusion contre la fièvre.

Bruno : Quelle différence entre Artemisia annua et Artemisia afra ?

Pascal Millet : Artemisia afra ne contient pas de molécule d’artémisinine, mais aurait une activité antipaludique, au même titre qu’Artemisia annua, dont est extrait l’artémisinine servant à faire les médicaments. Il y a donc certainement des molécules autres que l’artémisinine dans la famille de plantes Artemisia qui ont une activité contre le paludisme, mais les études scientifiques ne les ont pas encore caractérisées, faute de financement. Les quelques études réalisées sur le terrain semblent démontrer qu’elles ont les mêmes vertus.

Loup : Pourquoi ne pas organiser des essais cliniques sur les plantes avec des protocoles adaptés ?

Laurence Caramel : Pour organiser des essais cliniques il faut de l’argent, beaucoup d’argent. Il faut donc qu’il y ait un marché financièrement rentable derrière. Démontrer qu’une tisane d’Artemisia est efficace contre le paludisme ne rentre pas dans cette catégorie. Et c’est en grande partie pour cela que la Maison de l’Artemisia n’est, jusqu’à présent, pas parvenue à réaliser des essais cliniques jugés aux standards des normes internationales. La pandémie de Covid-19 change un peu la donne et il sera certainement plus facile de réunir les 2 millions d’euros nécessaires à la réalisation des premiers essais cliniques.

Ahmed : Qu’est que l’OMS attend pour prouver scientifiquement l’efficacité ou l’inefficacité de la tisane d’artemisia [contre le paludisme] ?

Pascal Millet : Face au développement dramatique des résistances du paludisme aux monothérapies (un seul médicament pour traiter), l’OMS et les spécialistes du paludisme ont promus au début des années 2000 l’utilisation des bithérapies utilisant des dérivés d’artémisinine et un autre antipaludique choisi en fonction du degré de résistance dans chaque pays impaludé.

Cette stratégie a été très efficace et a permis de contrôler le paludisme dans de nombreux pays comme le Sénégal, par exemple. Par contre, l’efficacité des bithérapies dépend de la capacité à distribuer le médicament, souvent dans des conditions difficiles compte tenu du faible niveau de prise en charge des soins de santé primaire dans plusieurs pays.
La crainte de l’OMS dans l’utilisation des tisanes est de créer des plasmodium résistants à l’artémisinine et de mettre en danger la stratégie des bithérapies. Donc elle préfère ne pas recommander de tisane, comme elle ne recommande pas l’utilisation de dérivés d’artémisinine seuls en monothérapie.

Arnaud : Pourquoi l’OMS ne finance-t-elle pas d’études capables de trancher une fois pour toute cette question des risques de résistance?

Pascal Millet : L’OMS n’a pas d’argent, et le développement des antipaludiques est financièrement sous la dépendance du Fonds Mondial, de la Fondation Bill et Melinda Gates et quelques autres fondations d’intérêt publique. Les priorités de développement et d’études cliniques sont donc définies par ces bailleurs. Pour l’instant, les tisanes ne sont pas dans leurs priorités.

Pixeed Bonjour, pourquoi la vente de produits à base d’Artemisia annua est interdite en France ?

Pascal Millet : Les mesures de prévention du paludisme pour les voyageurs utilisent des médicaments ayant une activité de longue durée dans le sang, et capables de tuer un parasite avant qu’il ne se développe. Attention, ces médicaments ne sont pas 100 % efficaces, donc il est essentiel de demander un diagnostic du paludisme à son médecin traitant en cas de fièvre au retour d’un zone d’endémie.

Un voyageur prenant des tisanes d’Artemisia comme prévention ne sera pas protégé, et s’il en prend en cas de fièvre, il soignera la fièvre mais pas entièrement le paludisme, qui peut se déclarer à nouveau après son retour en France. Chaque année, nous avons au CHU de Bordeaux un ou deux cas de paludisme sévère chez des touristes ayant pris des tisanes d’Artemisia, et ayant consulté tardivement, se croyant protégés du paludisme. C’est pourquoi la France a interdit la vente d’Artemisia.